Pourquoi Charlotte Dujardin a-t-elle dérapé ?

J’ai longuement hésité à écrire au sujet de Charlotte Dujardin. D’une part parce que les réseaux sociaux sont déjà en feu et qu’il n’est pas dans mes valeurs de mettre de l’huile sur le feu, et d’autre part parce que dire que moi aussi je suis profondément heurté par la vidéo que tout le monde a vue, n’a pas grand intérêt.

Si je prends aujourd’hui la plume, c’est pour essayer de comprendre ce qui s’est passé dans son cerveau pour arriver à cet acte terrible. Mais c’est surtout pour proposer des stratégies concrètes, que chaque cavalier peut mettre en œuvre pour éviter de déraper. Car soyons honnêtes, aucun cavalier n’est irréprochable.

Un acte inexcusable

Un acte de maltraitance est inexcusable. 

"Nous sommes profondément déçus par cette affaire, d'autant plus que nous approchons des Jeux Olympiques de Paris 2024. Cependant, il est de notre responsabilité et il est crucial de traiter tout cas de maltraitance, car le bien-être équin ne peut être compromis," a déclaré le président de la FEI, Ingmar De Vos.

"Charlotte a exprimé des remords sincères pour ses actions, et nous reconnaissons et apprécions sa volonté de prendre ses responsabilités. Malgré le moment malheureux, nous croyons que cette action réaffirme l'engagement de la FEI envers le bien-être en tant que gardiens de nos partenaires équins et envers l'intégrité de notre sport."

Les différentes instances équestres (FEI, British Equestrian et British Dressage) ont provisoirement suspendu Charlotte Dujardin, à sa demande, le temps de l’enquête. 

Il y aura indubitablement des sanctions et c'est normal.

La plus grande sanction pour elle restant l’effondrement de sa carrière et le basculement de sa vie.

L'erreur est humaine

Tous les sportifs de haut niveau, que dis-je, tous les êtres humains sont capables de déraper un jour, d’avoir un acte malheureux voire répréhensible. Que celle ou celui qui n’a jamais été submergé par ses émotions et perdu le contrôle me jette la première pierre ! Personne, absolument personne n’est irréprochable.

Bien sûr, lorsque Serena Williams casse sa raquette de Tennis d’un geste rageur sur un court, ça n’a pas les mêmes conséquences que Charlotte Dujardin qui fouette un cheval. L’une perd le contrôle en brisant un objet et pourtant, elle a été sanctionnée pour ce geste (US Open 8 septembre 2018); tandis que la seconde perd le contrôle en sacrifiant l’intégrité physique et mentale d’un être vivant. Un être vivant, un être sensible capable de ressentir et d’exprimer des émotions (“Automated recognition of emotional states of horses from facial expressions”, July 2024, PLoS One) et doué d’intelligence (“Horses can learn to use symbols to communicate their preferences,” July 2016, Applied Animal Behaviour Science).

Avec la notoriété, le succès et la gloire vient une grande responsabilité car le grand public comme les sportifs amateurs scrutent ces athlètes de premier plan. Ils ont valeur d’exemple et sont souvent des figures inspirantes. Ils n’en restent pas moins des êtres humains, avec leurs insécurités, leurs doutes et leurs peurs.

Pression et responsabilités des cavaliers de haut niveau

Les cavaliers de haut niveau sont censés nous montrer le chemin, faire briller la relation harmonieuse entre l’humain et le cheval devant leur public. Au-delà de mon opinion personnelle sur le sujet et le jugement sur l’acte de maltraitance, mais aussi le non-jugement que je porte sur Charlotte Dujardin en tant qu’être humain), il m’a semblé intéressant de partager avec vous, en tant que coach spécialiste du cerveau, les différents facteurs qui ont pu se mettre en action dans la tête de Charlotte Dujardin, et pourraient expliquer sa perte de contrôle.

Disclaimer

Je base mon analyse uniquement sur ce que nous avons tous vu dans la vidéo de 40 secondes (https://www.youtube.com/watch?v=KcudpwRpLgg) où on voit Charlotte Dujardin frapper un cheval. Je ne connais pas personnellement Charlotte Dujardin, mon intention n’est ni de l’exempter ni de l’accabler. C’est la FEI, British Dressage et British Equestrian qui décideront des sanctions. 

Je trouve simplement ce cas intéressant depuis mon point de vue d’accompagnant des humains, d’autant qu’il existe un risque que d’autres cas émergent. 

Je ne formule que des hypothèses en passant en revue ce qui potentiellement aurait pu causer le comportement exposé dans la vidéo. Mon propos étant d’alerter sur ces facteurs conscients et inconscients et de proposer des stratégies pour éviter ce type de comportement.

Analyse des facteurs contributifs

De façon globale, les dérapages comportementaux des sportifs de haut niveau - et des humains en général -  peuvent être attribués à une combinaison de facteurs :

  • psychologiques, 
  • culturels, 
  • contextuels. 

Voici quelques aspects de la psyché humaine et de l'environnement d’entraînement qui ont pu contribuer au dérapage de Charlotte :

1. Pression de la performance

  • Objectifs élevés : Vu le niveau auquel elle évolue, les attentes de son pays, de ses élèves, Charlotte est certainement sous une pression intense pour obtenir des résultats exceptionnels. La peur de l'échec, le besoin de maintenir une réputation, l’exigence de résultats visibles et immédiats de ses clients ont pu la pousser à aller trop loin. 
  • Stress et anxiété : Le cerveau, quand il fonctionne sous pression et sous stress constant, montre une capacité de jugement altérée et une plus grande difficulté à gérer les émotions de manière constructive : “OK, on va faire une pause, tout le monde se détend et on reprend dans 10 min”

2. Croyances et mythes équestres

  • Dominance et contrôle : Nous l’avons tous vécu, et parfois le vivons encore, certains cavaliers croient fermement qu'il faut établir une dominance absolue sur le cheval. Le cheval n’a pas le droit au chapitre. “Je suis l’humain qui commande, tu es le cheval qui obéit”. Cela peut mener à des méthodes et ou des comportements coercitifs voire violents.
  • Nécessité de la douleur : Il existe également cette croyance en la nécessité de la douleur : vous connaissez sans doute cette maxime “no pain, no gain”. La conviction erronée que la douleur ou la punition est nécessaire pour enseigner et surtout contrôler le cheval. Cette croyance, comme toutes les croyances, peut être consciente ou bien inconsciente. C’est-à-dire que si elle est inconsciente, elle génère un comportement auquel on ne réfléchit pas. C’est un comportement automatique.

3. Éducation et formation

  • Méthodes traditionnelles : Les pratiques équestres “traditionnelles” peuvent parfois inclure des techniques de correction sévères. Peut-être a-t-elle été formée dans l’un de ces environnements et elle reproduit ces comportements sans remettre en question leur éthique.
  • Manque de connaissances : Une mauvaise compréhension de la psychologie du cheval et des techniques de renforcement positif ont pu la mener à l'utilisation de la violence comme un dernier recours, parce qu’elle était submergée par ses émotions.

4. Facteurs psychologiques personnels

  • Frustration et impatience : Elle a pu ressentir une grande frustration lorsque le cheval n’a pas répondu comme prévu, ou comme elle voulait qu’il réponde. Ce qui, dans un moment de colère, a pu la pousser à mettre le cheval dans l’inconfort puis à laisser escalader ses émotions jusqu’à adopter un comportement violent.
  • Personnalité et tempérament : je ne la connais pas personnellement, donc je ne sais pas quel est son caractère. Mais certaines personnes sont plus susceptibles que d’autres de réagir avec agressivité, impulsivité ou colère.

5. Culture de l'équitation

  • Normes et attentes sociales : La culture au sein de certaines écuries, dans les milieux de la compétition peut tolérer ou même encourager des méthodes d'entraînement rigides et sévères. Il est souvent de bon ton de s’imposer, de parler fort, de défendre son point de vue de façon virulente, de ne pas se laisser marcher sur les pieds, de se moquer ou condamner les approches douces etc.
  • Influence des pairs : L'influence et l’autorité des entraîneurs, des autres cavaliers, et des membres de l'équipe peut créer un environnement où la coercition et l’abus sont perçus comme acceptables voire nécessaires.

6. Déshumanisation et objectification du cheval

  • Perception du cheval comme un outil : Lorsque les chevaux sont vus avant tout comme des moyens d'atteindre des objectifs de performance, leur bien-être peut être négligé. Lors d’un cours, l'enseignant peut simplement vouloir satisfaire son besoin de montrer sa capacité à obtenir du résultat. Quelles que soient les conséquences pour le cheval.
  • Manque d'empathie : Une absence de connexion émotionnelle avec ce cheval peut rendre plus facile pour l’enseignant de glisser vers des actes de violence.

7. Contexte spécifique de l'incident

  • Situation de crise : Que vivait Charlotte Dujardin les jours/semaines précédant cette vidéo ? Avait-elle des échéances spécifiques, comme une compétition importante ou une période de stress intense? Une situation familiale compliquée ? Certains événements de la vie quotidienne peuvent catalyser des comportements violents, en faisant monter le stress jusqu’à un niveau difficilement gérable.
  • Échec de communication : Clairement dans cette séquence, on voit que la  communication entre Charlotte Dujardin et le cheval est très mauvaise. Le cheval est en stress, semble ne pas savoir ce que l’on attend de lui, cherche à fuir l’inconfort. Ce niveau de (non) communication peut conduire à une escalade de la frustration et de la violence. Le visage de la cavalière est flouté, impossible d’émettre une hypothèse sur ce qu’elle ressent. Elle ne dit pas stop : se soumet à l’autorité une coach cavalière olympique et n’ose pas protester ? Est d’accord avec ce qui se passe ? Est aussi stressée que son cheval ? 

Approches pour prévenir le dérapage.

Pour éviter ces comportements, plusieurs stratégies peuvent être mises en place par les différents acteurs du monde équestre (cavaliers, entraîneurs, spectateurs, etc.) :

  • Éducation et sensibilisation : Promouvoir des méthodes d'entraînement basées sur le renforcement positif et une meilleure compréhension de la psychologie équine, à la fois par le cavalier mais aussi par les entraîneurs.
  • Soutien psychologique : Fournir un soutien psychologique aux cavaliers et aux enseignants pour les aider à gérer le stress, la frustration, et les émotions négatives. Tout cela est inhérent à notre nature humaine. Mais nous ne sommes pas obligés de les subir. Nous pouvons travailler à ne plus être contrôlés par eux. 
  • Changement de culture : Travailler à changer la culture équestre pour valoriser le bien-être du cheval et allumer les diodes d’alerte en cas de comportements violents.
  • Encadrement éthique : Former, impliquer et assister des entraîneurs et des mentors qui prônent et pratiquent des méthodes d'entraînement éthiques et respectueuses.
  • Réglementation stricte : Mettre en place et appliquer les règlements déjà existants contre la maltraitance animale dans les compétitions et les écuries.

Il y a un vrai changement de culture à opérer dans notre monde équestre. Je suis convaincu que les réformes doivent venir de l'intérieur. Sinon, elles viendront de l’extérieur, mais de façon beaucoup plus radicale. C’est d’ailleurs ce que veut l’association PETA : elle a demandé au comité olympique le retrait pur et simple de toutes les épreuves avec des chevaux. 

Notre sport, notre art, notre passion sont en danger. Alors ayons le courage de réformer ce qui doit l’être. 

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